- Application des règles de conduite en cas d’usufruit : peu de points de repère et des applications différentes
Les entreprises réglementées fournissent des services d’investissement à un large éventail de clients. Dans certains cas, la propriété est scindée entre l’usufruit et la nue-propriété. Généralement, tant l’usufruitier que le nu-propriétaire sont clients.
Pour l’application des règles de conduite, cette situation soulève un certain nombre de questions à trancher. Qui bénéficie du service d’investissement : l’usufruitier ou le nu-propriétaire ? Auprès de qui l’entreprise doit-elle recueillir les informations nécessaires pour procéder à l’évaluation du caractère approprié ou de l’adéquation du service à fournir? Sur qui portent les informations ? Les règles de conduite et les orientations de l’ESMA ne contiennent pas d’indications spécifiques à ce sujet.
La FSMA a constaté que ceci donnait lieu à des applications différentes au sein des entreprises réglementées :
- Certaines entreprises se basent sur un accord entre l’usufruitier et le nu-propriétaire quant à la manière dont ils souhaitent faire usage du service d’investissement. Cet accord couvre notamment les aspects relatifs à la collecte d’informations, mais aussi la désignation de la personne de référence qui bénéficiera par la suite du service d’investissement. Cet accord est souvent implicite et “caché” dans les documents d’ouverture ou dans les conditions générales. Il arrive de ce fait souvent que les parties ne soient pas suffisamment conscientes de son existence et de ses conséquences.
- D’autres entreprises, aux fins de l’application des règles de conduite, considèrent l’usufruitier automatiquement comme un représentant du nu-propriétaire. Leurs procédures traitent l’usufruit comme une situation à laquelle s’appliquent les règles de conduite en matière de représentation/mandat. Or, l’usufruit et le mandat sont des concepts juridiques bien distincts.
- D’autres entreprises encore ne fournissent leurs services qu’au nu-propriétaire. Cela semble difficilement conciliable avec les droits de l’usufruitier.
La FSMA souhaite offrir un point de repère aux entreprises en élaborant un cadre pour l’application des règles de conduite en cas d’usufruit.
- Qu’est-ce que l’usufruit ?
L’usufruit est un droit réel qui permet à son titulaire de faire usage et de jouir des actifs concernés au même titre qu’un propriétaire, sans pour autant les posséder. L’usufruitier a un devoir de conservation de ces actifs pour le nu-propriétaire. Il ne peut pas abuser de sa jouissance. L’usufruit est parfois aussi qualifié de “quasi-propriété”. Les règles applicables en matière d’usufruit figurent dans le Code civil.
- Qui est le client ?
Comme indiqué ci-dessus, l’usufruitier a le droit de faire usage et de jouir des actifs concernés comme un propriétaire sans les posséder lui-même. Cela signifie également qu’il peut être “l’utilisateur” des services d’investissement fournis par les entreprises réglementées et qu’il sera donc le client. Il n’est pas nécessaire que les entreprises réglementées considèrent également les nus-propriétaires comme des clients. Il est à noter que l’usufruitier est personnellement responsable vis-à-vis du ou des nus-propriétaires du respect de ses obligations d’usufruitier (par exemple, l’obligation de conservation).
- Règles pratiques à suivre pour le traitement de l’usufruit lors de l’évaluation du caractère approprié et de l’adéquation du service à fournir
4.1 Déterminez la personne (le client) auprès de laquelle les informations seront recueillies et qui fera l’objet de l’évaluation du caractère approprié ou de l’adéquation du service à fournir
Lorsqu’elles fournissent un service d’investissement dans un contexte d’usufruit, les entreprises réglementées devraient considérer l’usufruitier comme un client. Il suffit donc qu’elles recueillent auprès de ce dernier les informations nécessaires pour procéder à l’évaluation du caractère approprié ou de l’adéquation du service à fournir. L’usufruitier peut en outre fournir ces informations en partant de sa situation personnelle. Cela signifie que les informations sur les connaissances et l’expérience, la situation financière et les objectifs d’investissement peuvent être fournies à partir de la situation de l’usufruitier.
L’on peut imaginer des situations dans lesquelles les parties souhaiteraient néanmoins déroger à ce principe. Cela est possible si les conditions suivantes sont cumulativement réunies :
- La dérogation devrait faire l’objet d’une convention claire et établie par écrit. Cette convention pourra être conclue soit entre le ou les nus-propriétaires, le ou les usufruitiers et l’entreprise réglementée, soit entre le ou les nus-propriétaires et le ou les usufruitiers. Dans ce dernier cas, les parties concernées procureront à l’entreprise réglementée une copie de la convention. Les entreprises réglementées devraient joindre celle-ci au dossier client des parties concernées.
- La convention devrait indiquer clairement auprès de quelle partie les informations seront recueillies et comment cette partie sera tenue de livrer les informations. Il est par exemple possible que les parties conviennent que l’usufruitier fournira les informations nécessaires lors de l’évaluation de l’adéquation du service à fournir. Dans ce cas, il remplira le questionnaire ou aura un entretien avec l’entreprise. Les parties pourraient ensuite convenir que l’usufruitier reflète dans ses informations ses propres connaissances et sa propre expérience, tandis que ses réponses concernant la situation financière et les objectifs d’investissement seront basées sur la situation du ou des nus-propriétaires.
- La convention devrait clairement informer les parties des conséquences possibles de cette approche sur les droits de l’usufruitier.[1]
Les entreprises réglementées peuvent choisir la méthode qu’elles utilisent. Elles devraient toujours disposer d’une politique claire encadrant l’usufruit et devraient en informer les parties concernées en temps utile.
4.2 Opérez une distinction claire et nette entre représentation et usufruit
L’usufruit n’est ni une représentation ni un mandat. Les entreprises réglementées ne peuvent donc pas automatiquement considérer l’usufruit comme une relation de représentation.
Il doit en revanche être possible pour un usufruitier de se faire représenter (par exemple par le ou les nus-propriétaires) lors de l’exercice de ses droits. Les entreprises réglementées devraient dans ce cas tenir compte des règles pertinentes et des orientations de l’ESMA en matière de représentation.[2]
4.3 Délimitez les actifs ou les biens sur lesquels porte l’usufruit
Il est important de savoir clairement sur quels actifs ou biens porte l’usufruit. Il peut par exemple s’agir d’un portefeuille-titres, mais aussi de certains instruments financiers, voire d’un patrimoine entier. Les entreprises réglementées devraient recueillir les informations pertinentes auprès des parties concernées (convention, acte de succession, etc.) et les joindre à leur dossier client.
[1] Exemple : l’appétit au risque du nu-propriétaire est plutôt une aversion au risque (par exemple, le nu-propriétaire accepte une baisse limitée (max. 6 %) de son portefeuille, réagirait en cas de fluctuations de valeur plus importantes et procèderait à la vente des actifs ayant accusé une baisse afin d’éviter de nouvelles pertes à court terme), alors que l’usufruitier est plutôt “dynamique” et prêt à prendre des risques importants (par exemple, l’usufruitier vise un rendement maximal, accepte à cet effet toutes les fluctuations de valeur et continuerait même à acheter des actifs dont la valeur a fortement baissé). Si les parties s’accordent sur l’utilisation de l’appétit au risque affiché par le nu-propriétaire, cela aura dans ce cas pour conséquence que l’usufruitier devra gérer (conseil en investissement) ou faire gérer (gestion de portefeuille) les actifs concernés de manière à éviter les risques afin de pouvoir effectuer des transactions adéquates.
[2] Orientations concernant certains aspects relatifs aux exigences d’adéquation de la directive MiFID II, ESMA35-43-1163, §§ 63-67.