Cher lecteur,
L’année 2022 a été à bien des égards particulière, compte tenu des nombreux changements qui l’ont ponctuée et des nouveaux défis qu’elle a générés. D’un côté, cette année a signé le retour à une vie « normale », après la période liée à la crise sanitaire que tous les pays ont traversée. D’un autre côté, alors que la pandémie de Covid s’essoufflait, elle a vu le monde plonger dans une nouvelle crise causée par la guerre en Ukraine.
La guerre exige un lourd tribut géopolitique et économique
L’invasion de l’Ukraine par la Russie a non seulement causé chaos et désolation sur le terrain, mais également fait payer un lourd tribut géopolitique et économique à l’ensemble des nations. Sur le plan géopolitique, elle nous a pour ainsi dire ramenés à l’époque de la Guerre froide, avec ceci de singulier que les denrées alimentaires et l’énergie sont également utilisées à titre d’armes. Après des années sans inflation notable, notre économie s’est tout à coup vue confrontée à une situation inédite de hausse galopante des prix.
Les politiques ont dû elles aussi être adaptées : les pouvoirs publics ont pris des mesures de soutien, les banques centrales ont modifié radicalement leur politique monétaire et le commerce mondial semble se heurter à un nouveau protectionnisme. En d’autres termes, nous sommes entrés en 2022 dans une réalité économique totalement nouvelle.
Les incertitudes géopolitiques et économiques ont également pesé sur les marchés financiers. Les relèvements de taux opérés pour contrer l’inflation ont frappé les bourses de plein fouet partout dans le monde. De nombreux investisseurs de détail ont eu besoin de leur argent pour payer leurs factures plutôt que pour investir en bourse. Et ceux qui ont osé parier sur des achats de cryptomonnaies l’ont souvent chèrement payé lorsque les acteurs prônant ce type de placements se sont retrouvés, l’un après l’autre, dans la tourmente.
Les changements climatiques occupent le haut de l’actualité …
D’autres défis globaux n’en ont pas pour autant disparu. Cela vaut en particulier pour le réchauffement climatique qui s’accompagne d’effets sans précédent dans le monde entier. Il suffit de penser aux records de température qui ont été enregistrés durant l’été 2022 en plusieurs endroits de la planète et qui nous rappellent au jour le jour la réalité du défi climatique.
Le dernier rapport d’évaluation produit par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ne laisse planer aucun doute sur la nécessité de réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre. Les changements climatiques figurent dès lors à juste titre en haut de l’agenda international et le secteur financier a un rôle très important à jouer dans ce domaine. Car s’engager sur la voie d’une économie plus durable exige des investissements considérables.
Une réduction draconienne des émissions de CO2 n’est pas seulement un but poursuivi par les diverses conférences internationales sur le climat qui se succèdent au fil des mois, comme la récente COP27 à laquelle j’ai pu participer comme nouveau Président de l’IOSCO, l’organisation mondiale des autorités de contrôle du secteur financier. Il s’agit également d’une demande des consommateurs. « John and Mary in the street » - comme j’aime appeler « Monsieur et Madame Tout-le-Monde » lors de forums internationaux - sont demandeurs d’investissements dans une économie plus verte et ce sont eux qui forcent les décideurs politiques à agir en ce sens.
… et le secteur financier a un rôle clé à jouer
Ceci est tout sauf une mauvaise nouvelle : le secteur financier vit une mutation fondamentale qui n’est pas la conséquence d’une crise, mais qui résulte précisément de cette demande des consommateurs. Pour concrétiser cette mutation, les régulateurs s’investissent pleinement dans l’établissement de normes régissant la communication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, tout en veillant à ce que les investissements verts aboutissent bien dans les secteurs et les entreprises dignes de ce nom et qu’il ne soit par conséquent pas question de greenwashing. Ce travail revêt une importance cruciale pour que les investisseurs aient confiance en la capacité du secteur financier à jouer son rôle dans la révolution climatique, à savoir contribuer à orienter les canaux de financement vers les projets les plus utiles à ce sujet.
L’enjeu est en fait encore plus large, car outre les normes en matière de durabilité, les investissements répondant aux critères dits « ESG » devront également respecter des normes sociales et de gouvernance. Comme vous pourrez le lire dans le présent rapport, la finance durable a été au cœur des préoccupations en 2022. Et il va de soi qu’elle y restera au cours des années à venir.
Les technologies aussi génèrent de nouveaux défis …
Un deuxième grand défi pour le secteur financier pourrait se résumer par le vocable « technologies ». Les évolutions technologiques dans le secteur financier ne sont pas nouvelles et se poursuivront au cours des prochaines années. Elles offrent souvent de nouvelles possibilités et opportunités. Elles peuvent nous faciliter la vie mais, comme toutes les nouvelles évolutions, elles suscitent également de nouvelles questions et de nouveaux défis. Une question importante à cet égard est celle de savoir quelle direction ces évolutions prendront et jusqu’où elles iront. Pour le dire autrement, y a-t-il des limites à la digitalisation ?
Voyez ce qui s’est passé fin 2022 sur les marchés de crypto-actifs. La faillite de la plateforme d’échange FTX a tout à coup soulevé d’énormes questions sur l’avenir des monnaies digitales. Et les appels lancés en vue de réglementer leur commercialisation se font d’autant plus pressants que les conséquences de cette faillite ont touché des clients dans le monde entier. Les instances internationales et européennes se sont dès lors attelées à l’élaboration de normes et de règles en la matière, ce qui a permis de déboucher sur un accord historique au sein de l’IOSCO.
… et ont un impact sur le comportement des consommateurs
Les évolutions technologiques ont également un impact sur le comportement des consommateurs financiers et sur la manière dont ceux-ci peuvent et doivent être protégés. L’approche adoptée par les régulateurs financiers pour assurer cette protection devra évidemment tenir compte de la nouvelle réalité.
Les investisseurs potentiels de la jeune génération recueillent en effet leurs informations de plus en plus souvent en ligne. Ils consultent les réseaux sociaux, tendent l’oreille auprès des finfluencers et utilisent des applications intégrant des éléments de gamification qui ne sont pas conçues pour afficher toutes les informations obligatoires en un coup d’oeil. La FSMA a, en tant qu’autorité de contrôle, commencé à prendre en compte ces nouvelles habitudes des consommateurs.
Il en va de même pour la protection des consommateurs contre la fraude. Les techniques utilisées par les fraudeurs évoluent avec les technologies et sont de plus en plus inventives et sophistiquées. Les consommateurs ont de plus en plus de mal à les démasquer. Ici aussi, il y a du pain sur la planche pour une autorité de contrôle comme la FSMA, qui se doit de réagir rapidement.
C’est d’ailleurs ce qu’elle fait. En témoigne la création en son sein d’une cellule dédiée aux data analytics, qui nous permet de traiter rapidement et efficacement de grandes quantités d’informations. Comme vous pourrez le lire dans la suite du présent rapport, la FSMA utilise l’analyse des données dans un nombre de plus en plus élevé de domaines, avec de bons résultats. C’est ce que l’on attend d’une autorité de contrôle moderne et réactive. Et c’est ce que nous devrons également faire au cours des prochaines années pour continuer à suivre les évolutions rapides au sein du secteur.
La FSMA identifie 20 projets pour l’avenir
En ces temps de changements et d’incertitudes, le rôle dévolu à l’autorité de contrôle est encore plus important. C’est la raison pour laquelle la FSMA a saisi l’occasion du vingtième anniversaire de la loi relative à la surveillance financière pour identifier, de manière proactive, 20 projets à développer au cours des années à venir. Ces 20 projets ont été établis sur la base de l’expérience acquise par la FSMA dans ses différents domaines de contrôle.
Tous ces projets ont pour but de permettre à la FSMA de prendre des mesures elle-même, si cela est possible, ou de lancer un débat lorsqu’il s’agit d’une problématique tombant en dehors de son champ de compétences. Les projets s’articulent autour de sept thèmes d’actualité et ont pour fil rouge la volonté d’accroître encore la protection des consommateurs financiers et des actionnaires. Certains de ces projets sont déjà réalisés ou en voie de réalisation ; les autres seront menés dans les prochains mois ou la FSMA contribuera à lancer un débat à leur sujet s’il s’agit de projets impliquant d’une manière ou d’une autre des modifications législatives.
Digitalisation et finance durable
Certains projets sont étroitement liés aux deux grands défis que je viens d’évoquer. La digitalisation constitue l’un des thèmes majeurs. Dans ce contexte, la FSMA s’est vu confier à la mi-mai 2023 le pouvoir de contrôler les publicités faites pour des cryptomonnaies. Comme vous pourrez le lire dans le présent rapport, le but de son action est d’avertir les investisseurs potentiels en cryptomonnaies des risques que celles-ci comportent et de veiller à ce que les publicités soient suffisamment équilibrées et ne soient pas trompeuses. Le fonctionnement des applications de trading et l’inclusion financière, en particulier pour les personnes risquant de perdre l’accès aux services bancaires, font aussi partie des 20 projets.
Parmi les thèmes traités dans le cadre de ces 20 chantiers figure également la finance durable. L’objectif de la FSMA est, entre autres, de détecter des cas possibles de greenwashing en se basant sur l’analyse de données. La FSMA entend également formuler des recommandations à l’intention des sociétés afin de les aider à organiser adéquatement leur communication sur la durabilité. Enfin, la FSMA plaide pour l’instauration au niveau européen d’un contrôle exercé sur les fournisseurs de données ESG et de notations portant sur l’environnement, la durabilité et la bonne gouvernance.
Value for money et intérêt du client
Un autre thème abordé est la transparence des coûts et frais liés aux produits financiers. Vous en apprendrez davantage dans ce rapport sur l’étude menée par la FSMA en 2022 en vue de cartographier les frais facturés pour des investissements en fonds. Des initiatives similaires sont en train d’être prises pour d’autres produits. Le présent rapport fournit également de plus amples informations sur le règlement de la FSMA qui impose des limites aux paiements de primes pour des assurances multimédias. Nos équipes travaillent par ailleurs à une simplification des contrats d’assurance incendie qui, à l’heure actuelle, sont souvent difficiles à comprendre.
La place centrale que le secteur financier doit conférer à l’intérêt du client constitue le quatrième thème retenu dans les projets pour l’avenir. C’est ainsi que la FSMA a formulé des propositions techniques dans le cadre de l’instauration d’un serment bancaire. En prêtant ce serment, les personnes qui travaillent dans le secteur s’engageront à respecter un certain nombre de règles de déontologie. La fonction de compliance est, de son côté, essentielle pour préserver l’intérêt des clients. La FSMA souhaite à cet égard encore mieux encadrer les contacts avec les compliance officers et, par ailleurs, ajuster les règles applicables à la fonction de compliance dans les petites entreprises.
Propositions pour les sociétés cotées et le règlement des litiges
Les propositions émises par la FSMA concernent également les adaptations dont certaines règles applicables aux sociétés cotées pourraient faire l’objet, notamment pour ancrer davantage le rôle des administrateurs indépendants. L’une de ces propositions vise à instaurer, par voie législative, une interdiction professionnelle frappant les administrateurs qui ont été condamnés, à l’instar de ce qui existe par exemple pour les administrateurs d’établissements de crédit. La FSMA propose en outre d’inscrire dans la loi un système octroyant aux actionnaires un droit de regard lors de la cession d’actifs significatifs de la société.
Le sixième et avant-dernier thème traité par les projets pour l’avenir porte sur le règlement des litiges. La FSMA propose de renverser la charge de la preuve dans le cas des investisseurs lésés à la suite d’un abus de marché. L’interaction entre la FSMA et la Justice pourrait par ailleurs être renforcée, par exemple en facilitant la transmission de certains documents aux tribunaux civils. Enfin, la FSMA a lancé des propositions concernant l’organisation d’un règlement extrajudiciaire des litiges.
L’éducation financière et les dix ans d’existence de Wikifin
Le dernier thème abordé a trait à l’éducation financière. Lors de la création de la FSMA en 2011, nous avons plaidé pour qu’elle se voit également confier une mission dans ce domaine. C’est ainsi que nous avons lancé en janvier 2013 notre programme d’éducation financière, baptisé « Wikifin ». Nous venons ainsi de fêter le dixième anniversaire de ce programme.
En dix ans d’existence, le programme Wikifin est devenu une référence. Tout le monde reconnaît aujourd’hui sa qualité et sa valeur ajoutée. Au fil des ans, nous n’avons eu de cesse de l’étoffer, de sorte que nous disposons actuellement d’une offre à part entière s’adressant tant au grand public qu’au monde de l’enseignement.
Le lancement du Wikifin Lab a constitué le point d’orgue de ce travail. Le Lab recueille non seulement un vif succès auprès des élèves et des enseignants, mais fait aussi l’objet de nombreux éloges au niveau international où il est considéré comme un exemple à suivre. Dans le cadre de ses 20 projets pour l’avenir, la FSMA examinera comment elle pourrait encore étendre les services qu’elle propose en matière d’éducation financière.
Une responsabilité au plus haut niveau international
En menant à bien ces 20 projets, la FSMA entend prendre ses responsabilités et jouer pleinement son rôle sociétal. Mais elle ne se contente pas de prendre les devants au niveau national. Elle s’investit tout aussi ardemment dans ses activités sur le plan international. La coopération internationale a toujours figuré parmi les priorités de la FSMA. En 2022, elle l’a encore mieux montré en créant un service spécifiquement dédié aux relations internationales. Ce n’est pas un luxe superflu, car la coopération au niveau européen et à l’échelle mondiale jouera un rôle de plus en plus important pour faire face à un certain nombre de phénomènes et d’évolutions.
La FSMA a choisi de jouer un rôle très actif dans le cadre de la coopération internationale. Au cours des dernières années, j’ai eu l’honneur d’assumer plusieurs fonctions clés au niveau mondial, comme la présidence de l’IFRS Foundation Monitoring Board, composé de représentants de différents régulateurs de marché et autorités de premier plan. Cette instance veille au bon fonctionnement de l’organisation chargée d’édicter les normes comptables internationales IFRS et supervise les travaux de l’ISSB, l’International Sustainability Standards Board, qui élaborera des normes de portée mondiale à utiliser par les entreprises pour communiquer des informations sur les questions de climat et autres aspects de durabilité. La FSMA a également assumé, avec la SEC américaine, la coprésidence du Monitoring Group. Celui-ci a pour tâche de promouvoir l’intérêt général lors de l’établissement des normes d’audit internationales.
En octobre 2022, j’ai été élu à l’unanimité au poste de président du Board de l’IOSCO, dont j’exerçais la vice-présidence depuis de nombreuses années. Les régulateurs membres de l’IOSCO contrôlent 95 % du secteur financier dans le monde. Le président de l’IOSCO participe également aux réunions du Financial Stability Board, l’organisation internationale créée par le G20 dans le sillage de la crise financière de 2008. Le FSB surveille le système financier et formule des recommandations à l’attention du G20.
Cette élection montre que l’action de la FSMA et de ses équipes est particulièrement appréciée sur le plan international. Elle nous place aux premières loges pour suivre et piloter les travaux menés lors des forums importants qui définissent l’orientation à donner à la réglementation financière internationale. C’est une position unique, surtout pour une autorité de contrôle issue d’un pays qui ne fait pas partie du G20. Elle fait de la FSMA un interlocuteur important sur la scène internationale et nous donne la possibilité de nouer des contacts internationaux beaucoup plus facilement.
Vous en apprendrez davantage sur ce rôle international de la FSMA et bien d’autres sujets dans la suite du présent rapport. Je vous souhaite une lecture enrichissante.
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Je ne voudrais pas clore cette préface sans adresser mes plus vifs remerciements à Gregory Demal, qui a assumé la fonction de membre du comité de direction de la FSMA depuis la création de celle-ci, en 2011, jusqu’en septembre 2022, date à laquelle il a souhaité exercer d’autres activités professionnelles. Grâce à sa longue expérience, sa grande capacité de travail, son sens du détail, sa loyauté, sa collégialité et sa rigueur démontrée au quotidien dans la gestion de ses dossiers, Gregory Demal a non seulement œuvré au bon fonctionnement des services placés sous sa direction opérationnelle, mais a également apporté une contribution significative à la réussite du démarrage de la FSMA et au déploiement de ses activités.
Jean-Paul SERVAIS
Président